Sur la Grande Histoire

Boston, Triel, Paris, le voyage de Thomas Jefferson

Le titre de cet article peut surprendre ! Et pourtant c'est bien la réalité, une réalité aujourd'hui complètement oubliée des Triellois, mais un président américain, et non des moindres, le troisième Président des États-Unis, l'auteur de la Déclaration d'Indépendance, est passé à Triel. Il est vrai qu'à l'époque, il n'était pas encore président, mais un jeune diplomate qui venait d'être fraîchement nommé auprès de l'ambassadeur des États-Unis à Paris, Benjamin Franklin. Et c'est lors de son voyage de Boston à Paris qu'il s'est arrêté dans le village de Triel, le soir du 5 août 1784. Mais avant de relater dans le détail les péripéties de ce voyage mouvementé, attardons-nous un peu sur la personnalité de cet homme méconnu en France.

Qui était Thomas Jefferson ?

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Thomas Jefferson fut pleinement un homme de son temps, un homme des Lumières, un homme à l'esprit ouvert qui pourtant eut une attitude pour le moins ambiguë à propos de l'esclavage en vigueur à cette époque dans le Sud. Bien que de formation éminemment classique, il s'intéressait à tout ce que son siècle inventa et il était doué de mille talents. Comment le définir en quelques mots, lui qui fut à la fois homme d'état, avocat, musicien, philosophe, diplomate, architecte et... le troisième président des États-Unis ?

Thomas Jefferson naquit le 2 avril 1743, le troisième d'une famille de dix enfants. Il reçut donc une solide éducation classique fondée sur l'étude du latin et du grec, langues dans lesquelles il excellait ; il était, dit-on, capable de lire les auteurs les plus difficiles. Il acquit aussi de très bonnes connaissances en français. Mais cet amour pour les lettres ne l'empêchait pas de s'intéresser aussi aux sciences ; il écrivit un jour « Quand j'étais jeune, les mathématiques étaient la passion de ma vie ». Plus tard, à l'occasion de son séjour en France, il apprit l'espagnol et l'italien et même des rudiments d'allemand ! Encouragé par son père, Thomas suivit aussi des études de musique et, devenu talentueux violoniste, il se produisit souvent chez le Gouverneur Fauquier. Il fit ensuite des études de droit, tout en s'intéressant à des domaines aussi variés que la géologie, la botanique ou l'agriculture. A la mort de son père en 1757, il hérita d'un vaste domaine, exploité par plusieurs dizaines d'esclaves, dont il prit la direction dès l'âge de vingt-et-un ans. En 1767, il fut admis au barreau de l’État de Virginie et en 1769, il commença la construction de sa maison de Monticello, qui fut la grande œuvre de sa vie. Il s'attacha à l'améliorer sans cesse, comme par exemple dès son retour d'Europe, inspiré par le classicisme français et surtout par l'architecture antique pour laquelle il éprouvait une véritable passion. Lorsqu'il visita le sud de la France, il tomba sous le charme de l'antique Nîmes en y découvrant « les vestiges les plus parfaits qui existent sur Terre » et fut fasciné par la célèbre Maison Carrée qu'il « admire pendant des heures entières, comme un amant sa maîtresse ».

Le 1er janvier 1772 il épousa Martha Wayles Skelton, fille du célèbre avocat John Wayles. Martha avait déjà épousé en premières noces Bathurst Skelton, en 1766, mais deux ans plus tard, elle s'était retrouvé veuve,... à l'âge de vingt ans ! Dès la première année de son mariage, Jefferson, toujours soucieux d'embellir son cher Monticello, commença à en aménager les jardins.

En juin 1775, après huit années passées au barreau, il abandonna définitivement le droit pour se consacrer pleinement à la politique, ce qui l'amena à participer activement à la Révolution américaine. Peu de temps après, il occupait le siège de George Washington au Congrès, que ce dernier avait dû céder, appelé à devenir le leader des révolutionnaires en lutte contre les anglais.

ID310 03-Declaration indépendanceEn mai 1776, en collaboration avec Benjamin Franklin et John Adams, Jefferson commença la rédaction de la Déclaration d'Indépendance, qui allait donner naissance à la nation « libre et indépendante » des États-Unis d'Amérique « dégagée de toute allégeance à la Couronne britannique. » Le texte définitif fut adopté dans la soirée du 4 juillet, date devenue depuis symbolique pour tous les Américains.

En octobre 1776, alors que la guerre d'indépendance faisait toujours rage en Virginie, Jefferson se vit proposer un poste de diplomate à Paris. Mais il déclina l'offre, préférant en cette période de troubles, rester au service de l'état de Virginie, d'autant que la guerre avait ruiné ses plantations lui infligeant de lourdes pertes financières. Et en juin 1779, Jefferson fut élu gouverneur de l'état de Virginie, à trente-six ans.

Deux ans plus tard le malheur le frappa avec le décès de son épouse Martha, « compagne chérie dont l'affection, toujours égale et toujours partagée, m'avait donné dix ans de bonheur » écrivit-il dans ses mémoires. Il se retrouva seul avec ses trois filles encore jeunes : Martha âgée de l0 ans, Mary âgée de 4 ans et Lucy Elisabeth qui n'avait que quelques mois. Cette épreuve le bouleversa profondément et en dépit de quelques relations qu'on lui prêta par la suite, il ne se remaria jamais. Lors de son séjour en France, il rencontra Maria Coseway, avec laquelle il eut une relation suivie. On soupçonne également Jefferson d'avoir eu des enfants d'une de ses esclaves, Sally Hemings. D'ailleurs, cette affaire défraya longtemps la chronique dans les gazettes à tel point que, poussée par ses opposants, elle pollua régulièrement sa présidence. Aujourd'hui le doute persiste car les tests ADN effectués en 1998 sur les descendants Hemings et Jefferson n'ont permis ni de confirmer, ni d'infirmer la paternité de Jefferson.

En juillet 1784, Jefferson fut nommé à Paris auprès de Benjamin Franklin et John Adams. Il embarqua le 5 juillet à Boston et c'est lors de ce voyage vers la France qu'il passa par Triel comme nous le verrons plus loin. En mai 1785, Benjamin Franklin, très âgé et devenu invalide, rentra aux États-Unis ; Jefferson le remplaça en tant qu'ambassadeur. Il vouait une profonde admiration au vieil homme, son aîné de 37 ans ; on lui prête à son sujet ce mot d'esprit, lorsqu'un ministre français lui demanda : « Je suppose que vous remplacez M. Franklin. » Jefferson répondit « Je succède au Dr. Franklin. Personne ne peut le remplacer. » Jefferson l'appelait toujours respectueusement Docteur Franklin.

Si les Français le trouvaient froid, Jefferson aimait pourtant beaucoup la France, ses paysages, son architecture, sa peinture, sa musique, son climat et son vin ! Lors de son voyage dans le Sud il fut enchanté par le climat méditerranéen et il écrivit à l'un de ses amis « S'il devait arriver que je meure à Paris, je vous prierais de m'envoyer ici pour m'exposer au soleil. Je suis sûr qu'il me ramènerait à la vie. » Quant à sa passion pour le vin, il la résume en une phrase : « Le bon vin est une nécessité quotidienne pour moi. »

En janvier 1785, le malheur le frappa de nouveau. A des milliers de kilomètres de Monticello, il apprit la mort de sa dernière fille, Lucy Elizabeth, âgée de trois ans. Heureusement en juillet 1787, il eut le bonheur de retrouver sa jolie petite « Polly » (Mary), âgée alors de neuf ans et qui, accompagnée d'une servante noire, avait fait le long voyage depuis la Virginie pour le rejoindre.

Mais son séjour en Europe touchait à sa fin et en septembre 1789, alors que la France était en pleine Révolution, Jefferson, nommé secrétaire d'état auprès de Georges Washington, quitta Paris accompagné de ses deux filles pour rentrer en Virginie.

De retour dans son pays, l'ancien ambassadeur à Paris se heurta bientôt aux écueils de la politique intérieure. Jefferson fut si vivement contesté que, cédant aux lourdes critiques de ses adversaires, il finit par démissionner en 1794 et déclara même vouloir se retirer de la vie publique.

Pourtant en 1796, renouant de nouveau avec la popularité, il décida de se lancer à la course à la présidence. Mais, malheureux candidat, il fut battu de peu par son adversaire John Adams élu avec seulement trois voix d'avance. Il fut néanmoins nommé vice-président,... en attendant son heure. L'attente ne fut pas longue car en 1801, Jefferson fut élu 3ème Président des États-Unis et, comme Georges Washington, il fera deux mandats. C'est au cours de sa présidence qu'intervint en 1803 la célèbre vente de la Louisiane par la France (« la faute à Napoléon » dit la chanson!), qui permit à Jefferson de doubler la surface du pays. Ce qu'on appelait la Louisiane à l'époque était en fait un immense territoire de plus de 2 millions de km² qui s'étendait de l'actuelle Louisiane au sud-est jusqu'au Montana au nord-ouest. C'est aussi à ce moment que la ville de Washington, où Jefferson reçut son investiture, devint la capitale fédérale.

A la fin de son second mandat, en 1809, Jefferson se retira dans sa propriété de Monticello où il passa une retraite pour le moins active, entre la gestion de son domaine, de ses plantations et sa nouvelle entreprise : la construction de l'Université de Virginie. Ce fut sa dernière passion, sa dernière grande œuvre. Le vieil homme en fut l'architecte, il en dessina les plans et il supervisa les travaux.

Le sort voulut qu'il s'éteignît le 4 juillet 1826, le jour même du cinquantième anniversaire de la Déclaration d'Indépendance. Aujourd'hui, Thomas Jefferson repose dans sa propriété de Monticello et on peut lire sur sa pierre tombale « Ici a été inhumé Thomas Jefferson, Auteur de la Déclaration d'Indépendance américaine, du statut de la Virginie pour la Liberté Religieuse, et père de l'Université de Virginie. »

Mais revenons maintenant à cet événement qui nous intéresse particulièrement, à savoir le voyage du jeune diplomate de Boston à Paris.

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