Localisation: Centre
Historique
Les bacs
L’endroit où nous sommes a vu accoster d’abord des barques et plus tard des bacs jusqu’à la construction du pont en 1838 puis, après sa destruction en 1940, pendant seize longues années.
Sous l’Ancien Régime, la prévôté de Triel se doit d’assumer les fonctions administratives et juridiques ainsi que les échanges commerciaux car il faut que la ville soit accessible à tous les habitants relevant de sa juridiction. Mais le bac a des inconvénients comme par exemple : tenir compte de l'état du fleuve dont la différence de niveau entre les basses eaux et les périodes de crues peut atteindre dix mètres. A ces conditions de navigation difficiles, il fallait ajouter le coût et l’horaire variables des passages, les attentes ou l’indisponibilité des passeurs. A Triel, la traversée de la Seine était devenue hasardeuse.
Traverser la Seine a toujours été un enjeu social et économique majeur. La Seine, avant sa canalisation au milieu du XIXe siècle est restée le fleuve sauvage qui partage la commune de Triel en deux territoires d’inégales surfaces. Plusieurs îlots émergent dans cette partie du cours d’eau. Au début du XVIe siècle, ils sont encore plus nombreux. Avec le temps, certains ont été comblés par les alluvions. Ainsi pendant des siècles la Seine constitue une frontière naturelle qu’habitants et voyageurs ne pourront franchir que difficilement.
Les traversées se sont d’abord déroulées en barques. De nombreuses gravures d’époque nous révèlent l’allure de ces bateaux à fond plat. Des hommes, vraisemblablement des passeurs, exécutent la manœuvre. Ils permettent, en contrepartie du paiement des droits, pour le service du passage d’une rive à l’autre, des personnes : villageois, agriculteurs, commerçants, clergé, justiciables, gens de toutes conditions, leur personnel, les carrosses, les charrettes, les animaux, etc. et des produits agricoles de toutes sortes provenant des terrains attenants aux rives du fleuve.
Dangers, incertitudes des horaires et des coûts, irrégularité du cours d’eau, La Seine étant devenue un enjeu économique majeur, il s’avère indispensable de réglementer l’utilisation du fleuve.
Le pont à péage (1838 -1940)
Jusqu'en 1838, il n’y avait dans la région que deux ponts sur la Seine : celui de Poissy et celui de Meulan. Le 2 mai 1837, Louis Philippe, roi des Français signe une ordonnance qui autorise l’établissement d’un pont sur la Seine, en remplacement du Bac. Ce pont sera réalisé par les frères Seguin, spécialistes des ponts suspendus en fil de fer, et il sera pourvu aux frais de construction et d’entretien au moyen d’un péage, qui sera concédé par adjudication publique. La durée de la concession n’excédera pas 99 ans (11) et aucune subvention n’est accordée. Le projet – un pont suspendu en fil de fer avec un tablier de bois – est prévu d’une longueur de 163 mètres et d’une largeur de 5,40 mètres. Ce sera le premier pont suspendu.
L’inauguration a eu lieu le 9 septembre 1838 et son coût final de construction, tel qu’il apparaît dans les archives Seguin, s’élève à 157 634 francs. C’est la moitié du coût d’un pont en maçonnerie. Cette technique de « câbles métalliques, de faisceaux de fer fin », plus résistants que les chaînes utilisées jusqu’alors se traduit aussi par une réduction du temps de construction.
Ce pont subsistera 100 ans et son histoire nous conduit de la moitié du 19e siècle jusqu’au cœur du XXe siècle. A partir de 1907, soit 30 ans avant la date d’échéance de la concession, le Conseil Général de Seine et Oise commence à étudier sérieusement la possibilité de racheter la concession du pont prévue jusqu’au 31 août 1937, et de supprimer le péage. Une étude est réalisée et Monsieur le Maire est chargé de consulter les différentes communes, afin de déterminer leur éventuelle participation.
Un extrait des procès-verbaux des Archives Municipales nous donne une idée des débats animés qui eurent lieu autour de ce sujet :
- La commune de Chanteloup déclare qu’elle n’accordera pas de subvention car le pont est peu utilisé par ses habitants.
- La commune des Mureaux regrette de ne pouvoir accorder son concours.
- La ville de Vaux estime que l’ouverture de la ligne de chemin de fer reliant Argenteuil à Mantes rend l’achat du pont sans intérêt.
- La commune de Vernouillet, jugeant qu’elle n’est pas riveraine de la Seine, propose 500 francs de participation.
- Quant à la commune de Verneuil, elle prévoit que sa participation n’excèdera pas 2 000 francs, étant bien entendu que l’entretien du pont doit être sérieusement étudié, les communes voisines n’entendant pas l’assumer.
La population de Triel, elle, a été très motivée, car il ressort d’une liste de souscription, établie par la mairie, que près de 200 personnes firent une promesse de souscription.
Après tant de palabres, le péage n’a pas été racheté. C’était le dernier pont à péage de Seine et Oise. D’après Mme St James, on a pu lire dans le Courrier Républicain : «Et le dimanche, pour aller manger la galette chaude du moulin de Verneuil ou la friture amoureuse du restaurant Mallard, les garçons et les filles, en bandes joyeuses, s’engagent sur le pont, affolant par leur nombre le préposé au péage et réussissant bien souvent à se soustraire à son contrôle».
Finalement le 30 septembre 1920, le Conseil général décide de doubler le tarif en vigueur, sauf pour les personnes. En 1921, la Société d’Exploitation propose à nouveau le doublement du tarif, demande qui est rejetée énergiquement. Quoiqu’il en soit, la discussion est très tendue car le pont ne sera racheté par le Département qu’en 1928 et le péage supprimé définitivement le 17 novembre 1928, soit 10 ans avant la date d’échéance de la concession, mais après vingt années d’âpres discussions.
En 1938, on célèbre en grande pompe le centenaire du pont. Cependant l’ouvrage ne répond plus aux conditions de la circulation moderne et devient même dangereux. A l’évidence, il faut procéder à son remplacement. Mais en 1939, c’est la guerre, aussi, afin de stopper l’avancée allemande, «le dimanche 9 juin 1940 vers 16 heures, le Génie français fait sauter le pont de Triel. Mais les dégâts étant jugés insuffisants, une nouvelle destruction avait lieu vers 21 heures.» Après un siècle d’existence, le « Pont à péage » n’est plus qu’une ruine.
Le retour des bacs
Pendant la dernière guerre et bien après, des bacs sont remis en service car le pont a été détruit le 9 juin 1940. Dès lors, la traversée de la Seine pose d’énormes difficultés quotidiennes aux Triellois désireux de se rendre à la gare de Vernouillet, car le pont de Conflans ayant été détruit, il n’y a plus de train dans notre gare pour Paris. La seule solution, pour les piétons, est d’emprunter d’abord un petit bateau ou le petit bac construit sur deux barques. La traversée se révèle une dangereuse expédition, surtout en périodes de crues.
En 1943, un bac gratuit est mis en service pour les piétons, payant pour les véhicules, leur poids étant limité à trois tonnes. Il relie les deux rives mais, jusqu’à la fin de la guerre et même après, la traversée de la Seine et le ravitaillement restèrent très difficiles. La limitation du tonnage est très insuffisante pour satisfaire l’approvisionnement d’une ville de près de 3.000 habitants.
La passerelle provisoire (1945 – 1956)
Ce n’est qu’en septembre 1945 qu’est construite une passerelle gratuite qui prend appui sur les piles de l’ancien pont. Pendant onze ans, elle permet aux habitants des deux rives de traverser la Seine en toute sécurité...Ou presque, car il semble qu’elle donne beaucoup de soucis à nos élus d’alors. Des témoignages nous sont parvenus :
- 1er décembre 1945 - Mme Gélouin demande de faire mettre du sable sur la passerelle au moment des gelées.
- 22 novembre 1947 - Mme Pestel signale l’absence d’éclairage de la passerelle sur la Seine. Une lettre sera adressée à Mr l’Ingénieur des Ponts et Chaussées.
- 11 octobre 1952 - M. Prévost signale que certaines planches de la passerelle sont très écartées et que cela devient dangereux pour le passage des voitures d’enfants et les vélos ayant des pneus étroits.
Comment décrire cette passerelle sinon comme un moyen provisoire et risqué de franchir la Seine. Étroite, branlante, interminable, cette passerelle ne remplace pas le pont disparu. Aussi, dès 1943, la municipalité envisage la reconstruction du pont. Ce serait un nouveau pont situé à l’emplacement du pont détruit. Un projet est même établi par le service central d’études techniques du ministère des Travaux Publics, mais les «circonstances» ne permettent pas d’entreprendre les travaux.
Les Triellois garderont le bac et la passerelle encore de nombreuses années. Cependant le problème de sécurité est urgent car l’entretien de la passerelle qui est devenue vétuste s’avère coûteux et le bac toujours aussi peu pratique. Les membres du Conseil Municipal sont, sans cesse, questionnés sur l’avancement des travaux de ce futur pont tant désiré. Elle restera en service jusqu’à la construction d’un nouveau pont en 1956.
TMH – novembre 2015