Les Mémoires Vives

Entretien avec Monsieur Jean Paul NAUDIN

L'entretien

Entretien de Dominique Aerts avec Jean paul Naudin, 57 ans, en mars 2012.

En 1924, mon grand père Charles Naudin est arrivé à Triel ; il venait de St Cloud, parce que ma grande tante, donc sa sœur qui s’appelait Marthe Naudin tenait « les grandes remises de Paris » ; ma grande tante s’occupait des chauffeurs et mon grand père de la mécanique des voitures. Ils étaient employés. C’était dans le 17e arrondissement.

Il est parti des grandes remises vers les années 1922 ; il faisait tous les jours le voyage de St Cloud et il travaillait chez Ford, à Poissy. Il dirigeait toute la mécanique de Ford. Il avait entre 60 et 100 ouvriers sous ses ordres pour fabriquer les pièces mécaniques des moteurs. C’est là que ma grande tante part de St Cloud, parce que mon grand père a trouvé un garage.

En 1926, il décide d’acheter ce garage situé avenue de Poissy à Triel qui était une ancienne verrerie, très connue dans la région parisienne. Il y avait des hangars et surtout une machine diesel qui faisait tourner les machines avec des courroies, comme chez Ford pour faire tourner des machines outils. Il a tout modifié et mis des machines outils à la place. Tour, fraiseuse, rectifieuse et comme il connaissait bien l’automobile, il a mis en route un garage avec sa sœur, Marthe Naudin. (Ils étaient gonflés, car Bagros arrivait en même temps) Bagros s’était installé un petit peu avant. Mon oncle René, mon père Maurice et Juliette Philippe, leur sœur se sont installés à Triel –sur- Seine.

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le garage vers 1935 - 36

à droite, le facteur M Héron- 2 ouvriers- Charles Naudin

à gauche René Naudin

Une voiture nommée Cizéré-Naudin, a été construite par Charles Naudin vers 1919 ou 1923. Le pilote était Mr Cizéré. Il a gagné le Bol d’Or à Saint-Germain –en –Laye.

Au début, c’était un atelier mécanique auto et mécanique industrielle.

Le garage servait de ravitaillement en essence pour le Rallye Paris-Deauville.

En 34 - 35, mon oncle René rentre dans le garage, pour y travailler. Arrive 39 - 40, mon oncle René est mobilisé par la guerre. Il se fait prendre à Dunkerque et il est emmené à Auschwitz

pour nettoyer les fours crématoires. Il était dans une ferme et tous les jours, il allait nettoyer les fours avec Mr Bourgoin, l’horloger. En 40, mon père Maurice rentre dans le garage, il se marie avec Bernadette et en 45, ils ont eu Thérèse, ma sœur ainée.

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Maurice et Bernadette Naudin - gilet beige

M et Mme Bourgoin - veste grise

tante Céline - gilet chaise

Pendant la guerre, mon oncle René est prisonnier. Mon père travaille avec mon grand-père jusqu’en 44 dans le garage et ça a été fermé par les Allemands. Mon père est parti dans les STO, chez Ford, puis dans l’Est pour les Allemands. Avant son départ, il ravitaillait les avions de la résistance à l’Hautil, avec des fûts de 200 litres, avec la C4 de 1930 que j’ai actuellement. Il mettait 4 fûts dans la C4 pour monter là haut et il a été dénoncé, mais ils ne l’ont pas eu. Ils ont tiré sur la voiture, il s’est allongé sur le siège, il connaissait bien la route, il suivait les arbres pour descendre avec le volant. Quand il s’est fait tirer dessus, il a démonté la voiture complètement, il l’a mise dans une fosse et mis une autre voiture par-dessus, encore pour que les Allemands ne la trouvent pas. A cette époque le garage était fermé, déjà. Mon père est parti au camp comme STO, les Allemands n’ont pas su que c’était lui. A la libération, en 45, le garage reprend son activité avec mon oncle René, mon père et la tante Juliette. Elle s’occupait de la comptabilité, de la facturation.

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construction du grand bâtiment (1950–55)

Il y avait 3 maisons derrière le garage, la 1ère, la maison de la tante Marthe avec mon grand père et ma grand-mère, ensuite, il y avait mes parents et après mon oncle René. Ma tante Juliette était mariée avec Mr René Philippe, cultivateur à Triel. C’était un ancien combattant. Mon grand père a beaucoup travaillé avec le père de Robert Mallard pour fabriquer des arbres d’hélice et aussi avec le garage Victor Bagros : il refaisait les arbres de transmission des bateaux ; mon grand père tournait les arbres sur les tours. Mon grand père est mort très jeune en 53, il avait 59 ans, il avait de la tension et il a fait 3 AVC. Ma tante Marthe n’a pas eu d’enfants. Du côté de ma tante Juliette, il y a eu 3 enfants : Rémi, Evelyne et Martine. Moi, je suis arrivé en 55.

Dès l’âge de 10 ans, je gare les voitures de mon père. J’ai eu mon permis à 18 ans, mais j’avais une conduite un peu sportive ; au moment du permis de conduire, le moniteur , quand il m’a vu descendre de la voiture en boitant, a déchiré le permis et m’a obligé à passer des contrôles médicaux. Je les ai passés, mais, du coup, c’est revenu très cher à mes parents.

Pour le garage, on était le 192e Agent de France de Citroën. On est devenu Citroën dans les années 32. On a le chevron d’or en 82 pour les 50 ans de fidélité à la marque Citroën remis par Calvet, directeur de chez PSA Citroën.

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Chevron d'Or - Citroën - 1982

On a été 102 sur toute la France entre agents et concessionnaires à avoir cette distinction. La C4, elle a appartenu avant à Mr Latouche, c’était le premier client du garage : Mr Latouche a acheté une traction et mon grand père a repris la C4, qui est devenue une dépanneuse après la guerre (20 ans de dépanneuse).

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Citroën C4 - 1930

En 1962, le film «  l’As du Volant » avec Francis Blanche et Darry Cowl, a été tourné dans le garage.

Le garage a été vendu en 1993. Quand ils ont fermé le garage, c’était le 2e mandat de Mr Quijoux. Il y avait longtemps qu’ils auraient pu vendre, car il y avait beaucoup de gens qui voulaient l’acheter. Mon père aurait dû le vendre depuis longtemps. Le problème, quand mon oncle René est décédé en 85, mon père était tout seul, la tante Juliette avait du mal, elle était fatiguée. Entre deux, j’ai travaillé au garage, j’ai eu la chance de travailler dans l’administration, une semaine sur deux, et je conduisais Robert Pandraud, qui était Ministre de l’Intérieur.

Je donnais un coup de main au garage, j’étais à la facturation et mon père a dû s’arrêter presque 6 mois avec sa hanche, il a eu un AVC aussi, c’est Guy, un employé qui remplaçait et moi, je faisais double journée avec mon boulot pour tenir le garage, avec ma mère et la tante Céline. A la fin, mon père a bien vendu. Moi, j’ai voulu reprendre, il n’a jamais voulu. Il m’a dit : « c’est trop dur, le boulot, vu ton problème de santé. A l’administration, tu pourras partir un jour à 55 ans ». Il n’a pas eu tort !

J’ai été chauffeur du Ministre de l’Intérieur, puis, de Chirac, de Pasqua, Tibéri et les femmes de ces gens là et Jean José Clément (celui des Rhums des Antilles). Il était adjoint au maire à l’Outre-mer et après Ministre de l’Outre-mer.

Mon premier boulot, en 75, c’était à l’Aérospatiale, je travaillais sur Ariane (4 ans) aux Mureaux, sur le lanceur, j’ai fait une grosse bêtise, une erreur de jeunesse, j’ai emmené les plans ici, pour finir la pièce sur le tour. Top secret, j’ai été viré. Je suis reparti travailler chez mon père en 79 ; grâce à un coup de piston par rapport à mon père qui connaissait beaucoup de monde dans le milieu automobile et politique, je suis parti au Ministère du Travail, rue de Grenelle. Là, je suis devenu huissier (c’est celui qui ouvre la porte de la voiture, emmène le courrier au Ministre), en queue de pie, j’ai fait ça un an. Pendant ce temps là, je passais mon examen de chauffeur. Et je suis passé chauffeur de Robert Boulin (celui qui s’est suicidé : j’ai passé quand même 48h au Quai des Orfèvres, ils ont interrogé tout le monde). Le soir même, Robert Boulin m’avait libéré à 18h, ce qui n’était pas normal pour un chauffeur, j’ai raccompagné le garde du corps, j’avais ramené sa voiture personnelle au ministère, on l’a retrouvé dans le bois de Rambouillet. Le soir, j’étais en boite avec une copine avec la voiture du ministère, je suis rentré à 6h du matin, j’ai dormi une heure, et j’ai dû partir. Je n’avais pas allumé le téléphone, ni la radio. Je suis arrivé à Neuilly. Ça faisait des heures, qu’ils me

téléphonaient, j’arrive je dis « je suis le chauffeur du Ministre», « On vous attend justement ». Il a fallu que j’explique ma nuit. J’ai couché au poste !

J’ai conduit après le successeur, ce n’était pas un Ministre mais un remplaçant, un secrétaire d’Etat et pendant ce temps là, je réussis mon diplôme de la Mairie de Paris. J’ai passé tous les permis, c’était obligatoire et de ma poche. Après j’ai passé le concours ; Il fallait le CAP de mécanique auto, je l’avais. J’ai dû faire l’école de conduite à Montlhéry, l’école de défense, contre attaque. Il faut pouvoir conduire en temps de neige, de verglas et savoir se débrouiller si il y a une voiture qui te suit, qui veut te coincer, il faut s’en sortir et connaître Paris par cœur, comme un taxi. Je réussis mon examen au mois de février 81 et je suis embauché à la Mairie de Paris au mois de juillet 81. Changement de gouvernement, c’est Mitterrand qui arrive et j’arrive chez Chirac, rue Balard, au garage des TAM, c’est là que les chauffeurs sont, et j’ai un coup de pouce (un coup de la vie). En principe, un chauffeur reste un an en remplacement, il va même conduire les bus scolaires, les camions de la ville (les poubelles), les camions pour l’assistance publique, et aussi pour mettre à la décharge des « containers » bien fermés pour des opérations particulières. Tu ne portes pas, mais tu conduis. Tu ne charges pas le camion. T’es juste chauffeur. Il faut le permis bateau aussi. Il y a deux bateaux qui appartiennent à la ville pour emmener les gens.

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Hôtel de Ville de Paris

Donc en 81, je suis à la mairie de Paris, aux « transports automobiles municipaux », Le TAM. Il y a 60 ans, mes parents, leur société s’appelait TAM « Triel Automobile Mécanique ». Le hasard des choses ! Le chauffeur de Robert Pandraud tombe malade, c’était le directeur de Cabinet de Chirac, c’était son bras droit ; je commence en septembre, octobre, novembre, arrivent les fêtes. Robert Pandraud a une fonction en plus, il devient député de la Seine St Denis, et son chauffeur a jamais repris et du coup, vu les heures qu’on fait, il avait un accord avec Chirac d’avoir 2 chauffeurs. A partir de janvier 82, on était 2 sur le service et c’est pour ça que je travaillais une semaine sur 2, au garage de mon père. Par contre, aucun horaire, de jour comme de nuit. J’ai travaillé avec Robert Pandraud jusqu'à ce qu’il soit Ministre de l’Intérieur, jusqu’en 88. Ensuite, je suis parti avec Jacques Chirac, je suis revenu à la mairie de Paris et j’ai conduit « Chichi » jusqu’aux présidentielles. Quand il est passé Président de la République, il ne pouvait pas prendre 2 chauffeurs civils, car il lui fallait un chauffeur civil et un chauffeur militaire. Pour tout ce qui est très officiel (par exemple le 14 juillet), c’est un militaire, un commandant. Comme l’autre chauffeur est plus ancien que moi, j’ai donc conduit Tibéri, le Maire de Paris et là, j’ai mon accident en 2002 et j’ai été mis en accident de travail et puis en préretraite. On a été envoyé plusieurs fois en mission : on conduisait des camions comme par exemple pour les inondations dans le Vaucluse, j’en ai conduit des camions semi -remorques qui emmenaient des bulldozers, donc j’ai laissé Chirac et j’ai conduit un semi remorque. Je suis resté 24h à rouler et j’avais un stage tous les quatre mois.

J’allais au stage de permis vitesse, permis blanc, pour rouler comme les policiers. Après tu avais 2 semaines de poids lourds et transports en commun. J’ai passé mon permis transport en commun à Montmartre, je travaillais à l’époque au Ministère du Travail à Paris. Le jour de l’examen, il m’a fait monter à Montmartre avec le bus. Il m’a fait aller en marche arrière d’en bas de la Butte et après en marche avant !

Une anecdote, le jour d’un Conseil des Ministres, un mercredi, Robert Pandraud était Ministre de la Sécurité, je l’emmène de la place Beauvau à l’Elysée, ce n’est pas loin, ce qui fait à peu près 200m, avec la voiture blindée ; j’arrive devant le perron de l’Elysée, l’huissier descend les marches pour ouvrir la porte au Ministre et au moment où il a déclenché la porte, tout s’est bloqué, tout s’est mis en sécurité. Même nous, on ne pouvait pas ouvrir ni de l’intérieur, ni de l’extérieur. On ne savait pas, mais le problème, c’est que les extincteurs se sont mis en route. On avait de la neige carbonique jusqu’aux genoux. On ne pouvait pas ouvrir les fenêtres. Tout est condamné. Les glaces sont blindées (10 cm). Le service automobile de l’Elysée a appelé Renault. Ils sont venus tout de suite et ils ont réenclenché la sécurité de l’extérieur. Aucun garage ne peut le faire. C’est secret. Nous, on ne pouvait plus bouger, on parlait avec un micro. Il y a un micro, à l’intérieur pour parler avec les gens de l’extérieur, un haut parleur sous la calandre et un micro extérieur qui est caché pour parler avec les autres extérieurement sans descendre les glaces. Moi, j’étais trempé jusqu’au nombril. Le moteur tournait, on avait l’air conditionné, heureusement. On n’arrête jamais une voiture, tant que le Ministre n’est pas dehors. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Faut être prêt à repartir, à la seconde. Si tu vois que l’huissier ou quelqu’un n’est pas normal, tant que le chef de sécurité n’est pas entouré du Ministre, tu ne dois pas éteindre le moteur. Il y a 4 rétros à l’extérieur. Sur les circuits, on s’entraînait sur la neige, le verglas, et tout. Si une voiture veut me barrer la route ; on met le frein à main, on fait demi tour, on part de l’autre coté. Stage à Montlhéry, tous les 6 mois. Le dernier que j’ai fait, c’est chez Beltoise. Dans toute ma profession de chauffeur de la Mairie de Paris, j’ai vu pas loin d’une quinzaine de chauffeurs mourir (crises cardiaques, stress). Moi, j’ai une grosse possibilité qui m’a sauvé. J’allais n’importe où, je mettais mon siège couchette, je dormais n’importe où. Je mangeais à 11h30, et je l’emmenais à 13h au restaurant, j’allais dans le parking, je prévenais le secrétariat, « A 14h 30, vous m’appelez » et je dormais. C’est un avantage terrible dans ce métier là. On faisait entre 200 et 400km par jour.

 

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