Les Mémoires Vives

Entretien avec Monsieur Georges VOLARD

Témoignage recueilli par JP Houllemare, pour TMH, en novembre 2013.

« Je suis né le 17 août 1920 à Saint Philbert de Bouaine, en Vendée, près de Nantes.

Mon père, Alfred Volard, est né en 1893 dans une ferme. Ses parents avaient quatre garçons. Il n'a pas repris la ferme. Il est devenu boulanger, après son apprentissage à Montaigu pendant trois ans. Il était très sérieux, avait pu s'acheter montre et bicyclette et il lisait des journaux, dont l'Indépendant. Il était intéressé par beaucoup de sujets, mais était très discret. C'est dans ses archives que je me suis moi-même intéressé à la guerre Russo-Japonaise.

Il avait 20 ans quand la guerre s'est déclarée. Intelligent, il est sorti 1er du « peloton » et a été nommé Brigadier-Chef dans l'artillerie. Responsable de son canon de 75, doté d'un cheval, il a été dans le même régiment jusqu'à la fin de la guerre. Pendant cette épouvantable période, il a vu tomber ses trois capitaines successifs. Avant la fin du conflit, il fut nommé sergent-major, car il écrivait très bien.

Il habitait à deux kilomètres de ma future mère et il s'intéressait à elle parce qu'elle était première de sa classe. Suite à leur mariage, je suis l'aîné et mon frère Alfred est né en septembre 1921. Il a très bien réussi dans sa carrière, élève dans une école de jésuites, responsable à la J.O.C, dessinateur puis directeur de Frigavia, usine d'aviation, où il a travaillé de 18 à 55 ans.

Nous étions très indépendants l'un de l'autre, malgré notre faible différence d'âge, pendant la classe, mais nous avions les mêmes jeux. Il m'a seulement demandé mon avis lorsqu'il s'est marié. Muté à Suresnes, protégé du STO par son entreprise, il n'a pas fait la guerre, mais a été témoin de la gabegie qu'il y avait dans l'aviation : l'entreprise recevait énormément de subventions, mais elle ne produisait pas beaucoup. Il a eu quatre enfants et après une très belle carrière, il est devenu Directeur du Musée de Château-Bougon. Il est décédé le 7 mai 2012. « On a réussi tous les deux, on a eu de la chance » m'a-t-il dit, pensant que notre sœur Berthe, qui n'avait que 26 mois d'écart avec
moi, n'avait pas eu les mêmes possibilités.

Nos souvenirs de jeunesse sont à Rezé, un village de 4000 habitants où il y avait un excellent patronage « le Cercle », où nous pratiquions diverses activités, dont les agrès. Papa achète en 1923 la boulangerie à Vertou. Il pétrissait à la main. Il faisait un circuit à cheval pour vendre son pain qui
était moins cher que celui de Nantes et le jeudi, je l'accompagnais.

Dès 3 ans, je suis allé à l'école maternelle. A la sortie, je savais lire et résoudre quelques petits problèmes. Le métier de boulanger était très dur, avec des problèmes de prix de la farine et ma mère étant malade après ses 3 accouchements rapprochés, mon père a dû arrêter en 1928. Il a trouvé un logement à Nantes, puis a passé des concours administratifs et a été affecté dans son régiment d'origine. Nous habitions à Vannes, à la Rabine, une belle vieille maison. J'ai étudié là, au collège de Jésuites de Saint François Xavier, dans les classes de 11ème et 10ème.

Mon père a ensuite demandé sa mutation en février 1929 pour Nantes, où il s'occupait de la mise à jour des dossiers militaires. Nous habitions près du Parc de Procé et je fréquentais l'école Saint-Clair. Le 31 juillet 1931, nous sommes arrivés à Rezé, et j'ai passé deux ans à l'école Saint-Paul. Le directeur était âgé et se faisait seconder par les diplômés du certificat d'études. J'y ai passé un an et obtenu moi-même ce certificat.

En 1933, j'étais à l'école laïque de la Ripossière où j'ai passé un an. J'y ai réussi l'examen d'entrée à l'école supérieure et à l'école militaire – les enfants de troupe – qui avait l'avantage d'être gratuite. Je suis donc entré à l'école préparatoire à Billon, à 30 km de Clermont-Ferrand. C'était un grand couvent et nous dormions à cent dans le dortoir des moines, où il n'y avait qu'un poêle. J'ai eu un bon classement et mon père voulait que je montre mon galon ! La plupart des élèves ne travaillaient pas beaucoup... en 1934, après avoir appris la vie en société, j'ai beaucoup lu.

En octobre de cette même année, je suis allé aux Andelys. Mon dossier m'avait précédé. Nous fûmes répartis en 3 colonnes et j'étais dans les meilleurs. Quand on y réfléchit, c'était terrible, car il était impossible de changer de groupe ensuite, mais ces élèves ne le savaient pas. J'aimais beaucoup l'histoire et la géographie et nous avions deux langues vivantes. Je suis resté deux ans aux Andelys. Je suis aussi sorti « en ville » avec les trois autres meilleurs de la classe : Pierre BRAULT, mon voisin de la Sermonière, toujours prix d'excellence, Roland CLEE, second, André PROUX, quatrième et le seul à être resté dans l'armée jusqu'au grade de Colonel. J'étais 3ème de la classe et très intéressé par mes études. En plus, j'étais aussi responsable du nettoyage du laboratoire, ce qui me permettait d'approfondir.

En octobre 1936, le brevet avait lieu à Évreux – dictée avec cinq fautes éliminatoires – et ouvrait la voie à l'École normale d'instituteur. J'ai été reçu, mais n'ai pas choisi cette voie. En seconde, je suis au lycée d'Autun. Nous avions le travail en double, car notre professeur d'histoire nous donnait des cours « supplémentaires » d'histoire de l'Art en seconde et première. Sur les soixante élèves admis, les six moins bons furent éliminés. Ensuite, il y a eu un rattrapage qui a permis à six élèves de passer en 1ère. Les cinquante que nous étions au final passèrent leur baccalauréat à Autun et nous fûmes tous reçus à l'écrit ! Nous sommes allés passer les oraux à Lyon, et avons découvert cette ville magnifique.

En octobre 1938, les 50 élèves reçus sont dirigés vers le Prytanée militaire de la Flèche. Nous étions répartis en quatre classes et en concurrence avec des élèves qui arrivaient d'autres écoles. J'étais en section Mathématiques et Sciences pour cette 2ème partie du bac. Pierre BRAULT était encore avec moi. Le Prof de français était excellent et nous faisions de la philosophie. Je trouvais cela passionnant, sauf la théologie. Un seul prof de sciences guidait. On préparait aussi le concours de Saint-Cyr, l'oral se passait à Caen. Le sujet était l'œil et j'ai réussi à avoir mon bac. Je suis sorti en 999ème place sur environ 4000 candidats. En revanche, il n'y a eu que 180 reçus au concours de Saint-Cyr et BRAULT, toujours lui, en est sorti 5ème.

En 1939, je suis au Prytanée militaire de La Flèche, en 1ère année de « corniche », préparatoire aux écoles militaires, et je travaille beaucoup les dissertations, l'histoire, la géographie, les maths...

Le 14 juin 1940, je quitte La Flèche pour le sud, avec entre autre mon ami Missoffe, (fils de l'Amiral) et nous évacuons vers Saumur. Je passe voir maman et ma sœur à Rezé, et je passe l'été à la maison. Puis je reçois l'ordre de rejoindre le Prytanée par la gare d'Austerlitz. Nous prenons un train spécial pour passer en zone libre. J'arrive fin octobre 1940 à Valence pour la 2ème année de « corniche ». Notre petit Prytanée s'est réinstallé dans une ancienne caserne de cavalerie. BRAULT, qui avait réussi le concours, nous quitte en novembre 1940 pour Saint-Cyr... Il me faut attendre mai 1941 pour passer l'examen d'entrée : je suis reçu 111ème sur environ 2000 candidats en... octobre 1941, après avoir repassé les mathématiques, car il y avait eu une erreur ! Le 19 octobre, nous arrivions à Aix-en-Provence.

Cette période très importante pour le pays s'est terminée pour nous avec le débarquement des alliés en Afrique du Nord et notre départ d'Aix en décembre 1942. A fin janvier 1943, comme tous mes camarades de la promotion « Charles de Foucault », j'étais nommé sous-lieutenant et admis à choisir une grande école ou une faculté. J'ai choisi H.E.C., mais à Paris, les risques étaient de plus en plus réels (STO, rafles...) J'ai donc choisi de rejoindre, en mai 1943, les Chantiers de Jeunesse, fondés par le Général de la Porte du Theil à Calvinet, en Auvergne. Nous étions nombreux à vouloir échapper au STO... Mon séjour fût très occupé par la préparation à l'entrée de l'École des Cadres et après les péripéties propres à l'époque, jusqu'à fin avril 1944, date de fin des Chantiers de Jeunesse et de mon licenciement.

J'ai rejoint l'armée en août 1944 à Nantes, au 65ème RI, et ensuite à Machecoul. En janvier 1945, mon affectation à Fontenay-le-Comte s'est terminée par un séjour à l'hôpital, pour une appendicite. Fin octobre, je partais pour Angers, puis pour le camp du Ruchard. C'était ma dernière mutation et j'étais instructeur de la 1ère section de la Promotion « Croix de Provence ». En février 1946, il était mis fin à mon activité militaire : la lettre du Ministère de la Défense précisait que le nombre d'officiers était trop important... il fallait en supprimer plus de la moitié !

Rentré à Nantes, je cherche du travail. Une connaissance paternelle était dans l'assurance et me voilà entré en mai 1946, à la Winterthur, à Paris. Employé au service « litiges » et accidents du travail, je me souviens d'une anecdote. J'avais accepté une incapacité maximum pour un pauvre homme ayant perdu ses deux jambes à la guerre ; mon chef m'a vite recadré avec cette formule : « Mais, avec deux jambes en moins, on peut encore travailler ! ». Je suis donc passé à la rédaction des polices, travail peu motivant qui m'a conduit à suivre les cours du soir – de 21 h à 23 h – dispensés par IBM. J'y ai obtenu un diplôme d'Electro-comptable et c'est ainsi que j'ai rejoint l'usine Ford de Poissy en 1953. J'étais chargé des contrôles-planning, ce qui me plaisait beaucoup.

Cependant, mes relations avec l'armée ont subsisté, car j'étais rappelé en Algérie en 1956, d'avril à novembre, date du rapatriement de la classe 53. J'ai essayé de relater les événements et les modestes expériences qui furent les miennes pendant ces années de conflit, en Métropole puis en Algérie...

A mon retour, j'ai cherché à me rapprocher de Poissy, car j'habitais toujours Paris, rue de Suresnes. J'avais une voisine, originaire de la Sarthe... Je lui ai proposé de m'accompagner – car pour trouver un logement, c'était plus crédible... – et c'est ainsi que nous nous sommes mariés, en janvier 1960. Ford était devenu SIMCA, puis avec l'arrivée de Chrysler, il fallait parler couramment anglais...J'ai trouvé un poste de chef de service à la caisse de Retraite des Professions Libérales, au Vésinet. Mais le service fut dissout, suite à un transfert sur Caen. Je suis alors entré, après examen IBM et trois mois à l'essai, à la Caisse d'Assurance Vieillesse des Pharmaciens où j'ai pu apporter mon expérience concernant la recherche des erreurs, l'amélioration des procédures, la réflexion marketing... Je suis devenu adjoint du Directeur et j'étais responsable de toute la production, ainsi que de la préparation du Conseil d'Administration.

Retraité depuis 1985, j'ai partagé mes loisirs entre le tennis, la randonnée et bien sûr le bridge, que j'ai pratiqué en compétition jusqu'à 88 ans ! Je lis toujours beaucoup et je suis très attentif à ce qui se passe à Triel où je réside avec Madeleine, mon épouse, depuis plus de trente-cinq ans ! »

 

A télécharger, le Recueil de souvenirs d’un officier, triellois d’adoption de Saint-Cyr à la Kabylie.

 

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