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L'Affaire WALL - Douzième épisode : Départ pour le bagne

Départ pour le bagne

Qu'advint-il de Guy Davin, jeune homme de bonne famille, sans doute un peu trop gâté et mal aimé par un mère trop faible, indifférente ou tout aussi immature que son fils ? Il fut d'abord emprisonné à Fontevrault, puis transporté dans un train aux wagons cellulaires jusqu'à La Rochelle où il dormit une nuit. Un bateau le conduisit à Saint-Martin de Ré ; là il gagna à pied la Citadelle. Les forçats y reçurent leur numéro matricule, leurs effets de bagnard et une couverture. Paradoxalement, après des séjours dans des centrales à la discipline très stricte, ils attendaient avec impatience de partir pour la Guyane car souvent ils s'imaginaient qu'il était facile de s'évader dans l'arrière-pays; or, si les évasions étaient très fréquentes, les rares qui pouvaient réussir s'effectuaient par la mer. Certains avaient déjà préparé leur « plan » qui, dans le jargon des bagnards avait un sens très particulier: il s'agissait d'un étui rempli de billets qu'ils cachaient dans une partie intime de leur corps.

ID138_01-LeLaMatiniereLe 21 septembre 1933, une compagnie de soldats noirs ferma les extrémités du quai. Des gardiens de l'administration pénitentiaire coloniale au képi bleu clair se dirigèrent d'un pas martial vers le pénitencier de Saint-Martin pour prendre livraison de leur cargaison humaine. Trois remorqueurs accostèrent dans un mugissement de sirènes qui laissa place à un claquement de pas sur le pavé. Puis au bout du port, des hommes en un cortège silencieux et sinistre apparurent, encadrés par des gendarmes dont certains armés de leur mousqueton marchaient à reculons devant les prisonniers enchaînés. Derrière les barrages se pressaient les curieux avides de misère humaine et les familles disloquées et désespérées dont faisait partie Mme Davin mère « Croyez-vous que je pourrai embrasser mon fils ?  » demanda-t-elle à un gendarme de l'escorte qui la repoussa sans ménagement. Dans la longue cohorte se traînait le docteur Laget qui, sosie tragi-comique de Napoléon III lors de son procès, avait perdu ses moustaches à l'impériale et sa superbe ; mitraillé par les photographes, il cachait son visage avec son sac de toile. Certains bagnards s'agenouillaient avant de monter à bord et embrassaient le sol de leur patrie qu'ils ne reverraient probablement pas ; d'autres recevaient la bénédiction de l'aumônier. Guy Davin s'avança à son tour, regarda les badauds, son sempiternel sourire aux lèvres ; cherchait-il le visage de sa mère ? Celle-ci souleva une dernière fois sa voilette pour, au milieu de la foule, se faire reconnaître de son enfant et lui montra un journal. Elle ôta son gant pour envoyer un dernier baiser à son grand garçon, déséquilibré dangereux ou génial simulateur qui partait pour l'enfer. Mais lui, indifférent à sa « mater dolorosa » tourna son regard vers l'océan qui allait peut-être l'engloutir comme il avait englouti Albert Londres au cours du naufrage du Louis Philippar l'année précédente. En tout cas, l'Atlantique serait désormais synonyme de souffrances de l'enfermement et de rêves d'évasion.

Dans le bateau, La Martinière, à l'ancre au large, on avait déjà embarqué près d'un millier de toiles de drap, de vestons, de souliers, de sabots, de chapeaux pour les relégués et de bonnets pour les forçats. Les 700 bagnards furent installés dans les huit cages à fond de cale. S'ils se rebellaient, ils avaient droit à des coups de corde ou à des jets de vapeur brûlante. La traversée jusqu'à Saint-Laurent du Maroni dura quinze jours et comme le dit René Belbenoit, compagnon d'infortune, il n'y eut que deux morts ; il raconta « Guy Davin a monté son hamac près du mien. Nous causons en anglais tous les deux mais je n'arrive pas à comprendre son caractère qui est celui d'un enfant. Il est insouciant et ne se fait pas une idée de ce qui l'attend ni même de la peine qu'il a à subir. Il me parle de sa mère qui est venue le voir l'avant-veille et qui a été tout heureuse de lui annoncer qu'elle avait vu sa photo sur les journaux à côté de celle du docteur Laget. Que va-t-il devenir au bagne ? Je n'ose y penser.  »

A suivre

 

Françoise D.

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