Sur les Faits Divers

Étude des sabotages sur le chemin de fer à Triel-Vernouillet... en 1848

 

Occupations revendicatives, actes de malveillance ou opérations terroristes, nous avons vu encore récemment que les voies de chemin de fer sont des lieux particulièrement sensibles.

Déjà bien avant la S.N.C.F., en 1848 la Compagnie de l'Ouest subit, près de la gare de Triel-Vernouillet, de gros dommages et les auteurs de ces saccages furent déférés devant la Cour d'Assises de Seine et Oise.

Petit rappel historique

Depuis 1830

Louis-Philippe est roi des Français.

De 1845 à 1847

Sévit une grave crise économique. Comme le droit de réunion n'existe pas, un banquet démocrate est projeté pour le 22 février 1848.

Le 22 février 1848

La foule se réunit mais est dispersée par la troupe.

Le 23 février

Louis-Philippe remplace Guizot par Molé. Ouvriers et chefs démocrates déçus marchent vers la Madeleine; une fusillade fait de nombreuses victimes.

Du 23 au 24 février

Les cadavres des manifestants sont promenés dans Paris. Des barricades sont dressées.

Le 24 février

Louis-Philippe appelle Thiers, puis Odilon Barrot, mais est contraint d'abdiquer. Un gouvernement provisoire est proclamé.

Du 24 au 25 février

L'éloquence de Lamartine entraîne la proclamation de la république.

Le 25 février

Des mesures sociales sont prises: le droit au travail qui provoque la création d'ateliers nationaux pour chômeurs et la journée de dix heures.

Les faits

Rappelons qu'à l'époque le chemin de fer ne passait pas encore à Triel et que les faits se rapportent donc à l'actuelle gare de Vernouillet-Verneuil.

 

Le 26 février, quatorze hommes dont huit habitent à Triel arrachent des rails, détruisent la « voûte » de Vernouillet, incendient la station de Triel-Vernouillet (maison du chef de station, salle des voyageurs et magasin) et le bâtiment du garde-ligne près du chemin de Verneuil, puis la maison du garde-barrière, chemin du Moulin. Pour alimenter le feu, ils cassent treillages, barrières et plats-bords.

Les accusés

Ils ont entre quinze et trente-huit ans, et comme les Compagnons du Devoir, ils portent presque tous des surnoms ou sobriquets : le Bon Dieu, le petit Bamboche, Puisan, le Provençal, Binçon, le Belge.

 

Quatre parmi eux exercent le métier de carriers à plâtre. Rappelons qu'à Triel étaient exploitées d'importantes carrières de gypse. D'autres sont menuisiers, scieurs de long, cultivateurs, etc...

 

Comment expliquer que d'honnêtes travailleurs se transforment alors en casseurs et incendiaires ?

La révolution industrielle à l'époque des faits

La vapeur a bouleversé les transports maritimes, fluviaux et terrestres. 

Sur les mers et océans, en 1838, eut lieu la première traversée de l'Atlantique avec la seule vapeur. Mais avant que le Jack de Daudet connaisse l'enfer de la chambre de chauffe d'un steamer, « une longue cave ardente, une allée de catacombes embrasée par le reflet rougeâtre d'une dizaine de fours en combustion », les clippers aux immenses voilures sillonneront encore longtemps les mers.

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Sur les cours d'eau, le premier bateau à vapeur date de 1829. Le coche d'eau cesse de circuler en 1830. Bernard Clavel, dans son beau roman Le Seigneur du Fleuve, évoque la résistance vaine de Philibert, véritable héros épique qui, avec trente-six chevaux tente la « remonte » du Rhône par mauvais temps. Les patrons de ces équipages avaient encore de l'espoir : « Tant qu'ils sentaient avec eux le fleuve et ses riverains, ils continueraient de lutter. Car les riverains aussi souffraient de cette apparition des grands bateaux. Peu à peu les petits ports mouraient. Les auberges d'eau, les hostelleries, qui avaient si longtemps vécu de l'argent que leur faisaient gagner les mariniers et leurs passagers, fermaient leurs portes. » En 1848, les bateaux à vapeur l'emportent.

ID59-02_turner_Sur terre, en 1825, apparaît en Angleterre la première ligne ferroviaire. En 1843, la ligne Paris-Rouen est ouverte; puis en 1847 de Rouen au Havre. Le rail enthousiasme Zola : « C'était comme un grand corps, un être géant couché en travers de la terre, la tête à Paris, les vertèbres tout le long de la ligne... Et ça passait, ça passait, mécanique, triomphal, allant à l'avenir, avec une rectitude mathématique, »

 

Mais si les artistes fascinés vont, grâce au chemin de fer, trouver de nouveaux sujets et pouvoir installer leur chevalet en dehors de leur atelier (l'anglais Turner, dès 1844, peint un train qui sort d'un néant embrumé, plus tard, Monet empanache de fumée les locomotives à la gare Saint-Lazare), le chemin de fer suscite des craintes, quelquefois de l'ordre de la superstition. L'auteur de la Bête Humaine lui-même avouera être hanté par un cauchemar récurrent où il se voit dans un wagon au milieu d'un tunnel effondré à ses extrémités.

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Comme le patron-batelier de Clavel, deux accusés de notre affaire rendent les machines responsables de leurs difficultés financières; l'un, maréchal-ferrant à Triel, explique ses dégradations par la suppression du relais de poste, ce qui occasionne pour lui un sérieux manque à gagner. Un autre est marinier et déplore la concurrence du chemin de fer pour le transport des hommes et des marchandises.

La révolution politique

Mais la révolution industrielle n'explique pas tout. Seuls deux des quatorze inculpés subissent ou risquent de subir des préjudices. Il faut donc voir plus sûrement des raisons socio-politiques. Nous sommes le lendemain des troubles de Paris. D'ailleurs l'acte d'accusation parle « des individus profitant de l'émotion causée par la révolution de février ». Selon l'acte encore, il s'agit d'un mouvement coordonné sur toute la ligne puisque, au cours de l'action, un des accusés annonce au garde-barrière le renfort de cinq cents Rouennais et selon ses propos « il fallait qu'ils trouvassent la besogne avancée ». Un autre dit avoir reçu l'ordre de mettre le feu. Enfin, plusieurs affaires du même type ont lieu à Bezons ou à Rolleboise par exemple.

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Dans l'Antiquité, selon les Grecs, Poséidon enchaîné par le pont de bateaux sur le Bosphore s'est vengé de ce sacrilège en infligeant une sévère défaite aux Perses. Certains, au 19e siècle, ont considéré le rail enchaînant la terre comme l'œuvre du diable.

 

Il est vrai que les trains ont emporté les soldats de trois guerres vers la boucherie du front, les prisonniers vers les stalags et les déportés vers les camps. Mais des trains, dits, eux, de « plaisir », ont aussi permis aux ouvriers, dès la fin du 19e siècle, de passer le dimanche dans les guinguettes et à partir de 1936 ce sera la ruée des « congés payés » vers les bords de mer.

 

Ces nouveaux moyens de locomotion ont ôté leur gagne-pain à beaucoup, mais ont créé d'autres métiers, du lampiste au seigneur du rail qui remplacera le seigneur du fleuve.

 

Un progrès chasse le précédent; la révolution industrielle n'a-t-elle pas été suivie par la révolution informatique et la révolution politique européenne de 1848 par celle internationale de la mondialisation ? Ces bouleversements sont accompagnés de leurs dommages collatéraux : chômage, crises économique et morale mais aussi de nécessaires adaptations et prises de conscience au plus haut niveau.

 

Françoise, d'après archives 2 U 373.

 

 

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